Newsletter trimestrielle n°10
A l’issue des quatre premiers mois de l’année 2020, le cabinet vous
propose, sous la forme d’une newsletter, une sélection de décisions
rendues dans des affaires qu’il a traitées devant le Conseil d’Etat et
la Cour de cassation.
Cette newsletter commente de manière synthétique des arrêts qui, toutes matières confondues, auront justifié une publication au Recueil Lebon ou au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, ou présentent un intérêt juridique et pratique.
Droit civil et
procédure civile
Responsabilité civile – réparation de la victime – Fonds d’indemnisation – Prestation compensation du handicap – déductibilité
2ème civ., 6 février 2020, n°18-19518, à paraître au Bulletin des arrêts des chambres civiles, au Bulletin d’information des arrêts de la Cour de cassation et sur le site de la Cour de cassation
Dans cet arrêt, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a posé et rappelé différents principes applicables en matière de réparation du préjudice corporel, notamment en cas d’intervention du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (ci-après : « FGAO »), dont la non-imputabilité de la prestation de compensation du handicap sur les indemnités allouées à la victime, la possibilité (sous certaines conditions) pour la victime d’être indemnisée des frais engagés pour régler les honoraires d’un médecin expert « privé » ou d’obtenir condamnation du FGAO sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
S’agissant du caractère non imputable de la prestation de compensation du handicap, elle a rappelé qu’« il résulte [des articles 29 et 33 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985] que seules doivent être imputées sur l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, les prestations versées par des tiers payeurs qui ouvrent droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ».
Puis elle a jugé que « n’étant pas mentionnée par le premier de ces textes, la prestation de compensation du handicap ne donne pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation et ne peut donc être imputée sur l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime ».
Le caractère ou non indemnitaire de la prestation de compensation du handicap est donc indifférent pour juger de sa déductibilité : le fait que cette prestation ne donne pas lieu à recours subrogatoire suffit à empêcher de l’imputer sur les dommages et intérêts alloués à la victime.
Par cette décision, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a confirmé la solution pour laquelle elle avait opté quelques années auparavant (Civ. 2ème, 2 juillet 2015, n°14-19.797, Bulletin 2016, n°834, 2e Civ. n° 69 ; 29 juin 2017, n°16-17.864 ; v. contra, auparavant : Civ. 2ème, 16 mai 2013, B. 89), reprise par la première Chambre civile (v. par ex : Civ. 1ère, 10 septembre 2015, n°14-23.623 ; 17 mars 2016, n°15-13.865) et la Chambre criminelle (Crim., 1er septembre 2015, n°14-82.251, Bulletin 2016, n°835, Crim., n°98).
Elle a précisé, dans cet arrêt, que la solution vaut que l’indemnité « soit payée par la personne tenue à réparation ou prise en charge à titre subsidiaire par le FGAO », en visant les articles L. 421-2 et R. 421-13 du code des assurances et en retenant que selon ces dispositions, « lorsque le FGAO intervient, il paie les indemnités allouées aux victimes ou à leurs ayants droit qui ne peuvent être prises en charge à aucun autre titre lorsque l’accident ouvre droit à réparation » et que « les versements effectués au profit des victimes ou de leurs ayants droit et qui ne peuvent pas donner lieu à une action récursoire contre le responsable des dommages ne sont pas considérés comme une indemnisation à un autre titre ».
Elle a en conséquence censuré en l’espèce la cour d’appel qui avait dit que le versement de la rente trimestrielle viagère due à la victime au titre de la tierce personne ne pourrait intervenir que sur justification de l’absence de demande de prestation de compensation du handicap ou du montant des sommes perçues à ce titre pour éviter toute double indemnisation (1er moyen du pourvoi principal).
Par ailleurs, s’agissant des frais afférents aux examens médicaux réalisés par la victime auprès d’un médecin expert « privé », la Cour de cassation a jugé qu’ils pouvaient être indemnisés au titre des frais divers, s’ils avaient été indispensables à l’évaluation des préjudices de la victime et étaient par conséquent imputables à l’accident (2ème moyen du pourvoi principal).
Elle a ainsi implicitement qualifié les honoraires d’un médecin expert consulté par la victime de préjudice réparable et exclu la qualification de frais irrépétibles.
En outre, elle a jugé, pour la première fois, que le FGAO pouvait être condamné sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, dès lors qu’il était bien une partie à l’instance au sens de cette disposition (5ème moyen du pourvoi principal), et ce, alors même qu’il ne peut être condamné aux dépens (v. par ex : Civ. 2ème, 3 novembre 2011, B. 203 ; 2 février 2017, n°16-14.370 ; 24 mai 2018, n°17-19.445).
Prescription – renonciation – absence de caractère équivoque
Civ. 2ème, 5 mars 2020, n°18-26.826
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a rappelé, au visa de l’article 2251 du code civil, que si la renonciation à la prescription peut être tacite, elle doit résulter de « circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription ».
Et elle a jugé qu’était impropre à caractériser une renonciation non équivoque à se prévaloir de la prescription le fait pour un assureur de verser un acompte à titre d’avance sur indemnité après l’expiration du délai de prescription de l’action à son encontre, dès lors que le protocole prévoyant le règlement de l’acompte stipulait que cette indemnité était allouée « sans reconnaissance de responsabilité ».
Tout comme l’était le fait pour cet assureur de payer une indemnité en cours d’une procédure de référé, dès lors que ce dernier avait invoqué la prescription dans le cadre de cette procédure.
La Cour de cassation confirme ainsi le contrôle qu’elle opère sur la renonciation à invoquer la prescription qui doit être sans équivoque.
Responsabilité – notaire – devoir de conseil – perte de chance
Civ. 1ère, 5 février 2020, n°18-23.750
La Cour de cassation a posé clairement, dans cet arrêt, que « si le contribuable n’a pas acquitté à l’échéance l’impôt légalement dû en raison du manquement du notaire à son devoir de conseil, la perte de chance de ne pas payer les majorations et intérêts de retard s’analyse en un préjudice réparable ».
Cette solution démontre que le principe constant selon lequel le paiement de l’impôt auquel un contribuable est légalement tenu n’est pas un préjudice indemnisable (v. par ex : Civ. 1ère, 4 novembre 2003, n°00-21.044 ; 15 mars 2005, n°03-19.989) ne signifie pas pour autant que n’est pas réparable la perte de chance de payer un impôt moindre ou d’éviter le paiement d’un impôt (v. par ex : Civ. 1ère, 31 octobre 2012, n°11-25.025 ; 15 janvier 2015, n°14-10.256), et que doivent être en toute hypothèse distingués le paiement de l’impôt et le paiement des intérêts et majorations de retard.
Responsabilité – créancier saisissant – obligation d’information du débiteur- saisie des loyers dus au débiteur
Civ. 2ème, 9 janvier 2020, n°18-17.962
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a été amenée à statuer sur l’existence d’une obligation pour le créancier qui a pratiqué une saisie-attribution des loyers dus à son débiteur d’informer ce dernier du non-paiement desdits loyers.
Le débiteur soutenait, en effet, qu’en ne lui délivrant pas cette information, le créancier lui avait fait perdre une chance de percevoir les loyers qui n’avaient pas été intégralement payés par le preneur qui avait été placé depuis en liquidation judiciaire.
La Cour de cassation a cependant jugé que « le seul défaut d’information sur les impayés n’est pas suffisant à caractériser la faute du créancier saisissant ».
Propriété –théorie de l’apparence – erreur commune et invincible
3ème civ., 6 février 2020, n°18-23779
En l’occurrence, les demandeurs au pourvoi reprochaient à la cour d’appel d’avoir dit qu’ils avaient acquis en 1996 un certain lot (le 24) d’un propriétaire et qu’un tiers avait acquis du même propriétaire en 2007 un autre lot (le 13) alors même que l’objet de la vente qu’ils avaient conclue en 1996 portait sur ce lot 13.
La cour d’appel s’était fondée sur la théorie de l’apparence. Elle avait estimé que l’erreur de l’acheteur de 2007 était invincible dès lors que le vendeur était le propriétaire apparent du lot 13. Selon elle, pour cette seule raison, l’erreur de concordance entre le lot vendu et le lot dont il avait été mis en possession était invincible ce qui justifiait le rejet de la demande des acheteurs à l’acte de 1996 qui portait pourtant sur ce dernier lot.
Or la cour d’appel avait également relevé, par d’autres motifs, que le lot 13 était objet de la vente de 1996.
Il en résultait que les demandeurs au pourvoi étaient les propriétaires réels du lot 13. A l’époque de la vente de 1996, ils ne pouvaient avoir acquis le lot 24 dont le vendeur n’était pas propriétaire, selon les propres constatations de la cour d’appel.
Autrement dit, l’acquéreur à l’acte de 2007 n’avait pas traité sous l’empire d’une erreur commune et invincible en sorte que la cour avait appliqué à tort la théorie de l’apparence pour rejeter la demande des acquéreurs à l’acte de 1996.
Si cet arrêt n’a pas les honneurs de la publication, il n’en reste pas moins qu’il vient nourrir une jurisprudence peu abondante sur le sujet de la théorie de l’apparence.
Il faut dire que les erreurs portant sur la concordance des lots acquis et dans lesquels les acheteurs sont mis en possession sont assez rares !
L’intérêt de cette décision de cassation est de montrer le contrôle poussé dont fait preuve la Cour de cassation dans la notion d’erreur invincible et commune.
Mais aussi de nourrir les cas d’école dont on croit qu’ils ne font l’objet que des cas pratiques donnés aux étudiants de la faculté de droit !
Copropriété – restriction aux droits de jouissance des copropriétaires – règlement de copropriété – article 1er du 1er Protocole additionnel de la CEDH
3ème civ, 20 février 2020, n°18-14.305
En l’occurrence, le litige opposait les copropriétaires d’un immeuble et plus particulièrement un groupe de copropriétaires personnes physiques à une Sci – également copropriétaire – qui exerçait une activité commerciale de location saisonnière.
Cette dernière, au soutien de son pourvoi, reprochait à la cour d’appel de lui avoir interdit de louer ses lots en prétendant que son droit de propriété était amputé ce qui excédait manifestement ce que pouvaient justifier la destination contractuelle, le caractère ou la situation de la résidence en violation des articles 8, alinéa 2, et 43 de la loi du 10 juillet 1965.
Elle prétendait encore qu’en lui interdisant purement et simplement de donner à bail les lots privatifs dont elle est détentrice dans la copropriété et aussi de permettre à sa clientèle d’occuper ces mêmes lots à quelque titre que ce soit, la cour d’appel l’avait privée de la substance même de son droit de propriété et avait ainsi violé l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la Sci. Selon la Haute juridiction, la cour d’appel, en jugeant que la Scise livrait à une activité commerciale de location à la journée ou à la semaine d’appartements et de studios et en retenant, dans l’exercice de son pouvoir souveraind’appréciation de la destination de l’immeuble, que le règlement de copropriété de la résidence réservait les bâtiments à l’usage exclusif d’habitation et que l’utilisation des locaux à titre professionnel était autorisée sous réserve que l’activité professionnelle ait été exercée dès l’origine, dans des locaux annexes à ceux servant à l’habitation du propriétaire, ce qui excluait que les appartements soient utilisés au titre d’une activité commerciale, avait pu en déduire qu’il devait être fait interdiction à la société de louer ses lots privatifs ou de les faire occuper par sa clientèle.
On rappellera que les articles 8 alinéa 2, et 43 de la loi du 10 juillet 1965 prévoient que le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires sur leurs parties privatives en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation et que toute stipulation contraire est réputée non écrite.
L’arrêt précité s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle les juges du fond apprécient souverainement la destination de l’immeuble au regard des stipulations du règlement de copropriété, et notamment de ses clauses d’habitation bourgeoise (Voir par ex. Civ. 3ème, 17 mars 2016, n°14-26954 ; 23 novembre 2017, n°16-20805 ; 8 mars 2018, n°14-15864).
S’agissant précisément de la restriction au droit du propriétaire d’exercer une activité commerciale au sein de son lot, la Cour de cassation avait par exemple déjà jugé qu’ayant retenu qu’il résultait des stipulations du règlement de copropriété que l’immeuble était principalement à usage d’habitation, avec possibilité d’usage mixte professionnel-habitation et à l’exclusion de toute activité commerciale, ce qui privilégiait son caractère résidentiel qui était confirmé, dans sa durée et sa stabilité, par l’obligation pour le copropriétaire d’aviser le syndic de l’existence d’un bail et constaté que certains propriétaires avaient installé dans les lieux des occupants, pour de très brèves périodes, ou même des longs séjours, dans des « hôtels studios meublés » avec prestations de services, la cour d’appel, en avait souverainement déduit que ces rotations des périodes de location ne correspondaient pas à la destination de l’immeuble (Civ. 3ème, 8 mars 2018, n°14-15864).
Par ailleurs, concernant les restrictions à la location de parties privatives, avait également été jugée licite la restriction conventionnelle à la faculté de louer les locaux privatifs interdisant la location meublée ou non des chambres de service réservées aux domestiques (Civ. 3ème,26 novembre 2003, n°02-14158).
La Cour de cassation, en rappelant que les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation de la destination de l’immeuble au regard des stipulations du règlement de copropriété, et notamment des clauses d’habitation bourgeoise, s’inscrit dans sa jurisprudence antérieure.
On précisera toutefois, s’agissant de l’atteinte à l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH, que la Cour de cassation s’est très rarement prononcée sur la violation de cette disposition.
Dans une espèce relative à la restriction, par le règlement de copropriété, du droit de jouissance des copropriétaires, elle avait jugé qu’ayant constaté que le groupe d’immeubles était situé dans une voie privée donnant sur une petite rue transversale à faible trafic reliant la contre-allée entre deux avenues où s’exerçaient des activités de racolage en vue de la prostitution, que cette activité se transportait ensuite dans les chambres de service des immeubles avoisinants, ce qui avait conduit les rédacteurs de règlements de copropriété à veiller à ce que le commerce de ces locaux ne soit pas susceptible de compromettre la destination et la tranquillité des immeubles, qu’au cours du temps, le standing n’avait pas été affecté, l’ensemble demeurant résidentiel, calme, verdoyant avec un nombre réduit de vastes appartements et que la cession séparée des chambres de service aurait pour effet de doubler le nombre des copropriétaires et de modifier la manière d’y vivre, la fréquentation en devenant plus intense et bruyante, la cour d’appel avait pu retenir, sans violer l’article 1er du 1er Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que la clause du règlement de copropriété interdisant la vente des lots secondaires à des personnes qui ne seraient pas déjà copropriétaires était justifiée par la destination de l’immeuble (Civ. 3ème, 1 octobre 2013, pourvoi n°12-17474).
Dans l’arrêt susvisé en date du 27 février 2020, la Cour de cassation est venue apporter une précision par rapport à l’arrêt précité : il appartient au demandeur qui conteste une mesure d’interdiction fondée sur les stipulations du règlement de copropriété de préciser, concrètement, en quoi ladite mesure le prive objectivement de la substance même de son droit de propriété sur ses lots.
Droit social
Congé parental à temps partiel/indemnité de licenciement et congé de reclassement
Soc, 18 mars 2020, n°16-27825, à paraître au Bulletin des arrêts des chambres civiles et au Bulletin d’information des arrêts de la Cour de cassation
Dans cette affaire où elle avait été licenciée pour motif économique alors qu’elle était en congé parental à mi-temps, une salariée s’était prévalue de la jurisprudence de la CJUE pour voir l’indemnité de licenciement et l’allocation de congé de reclassement calculée sur la base d’un temps plein.
Le pourvoi se prévalait de l’accord-cadre sur le congé parental conclu le 14 décembre 1995, mis en œuvre par la directive 96/34 du CE du Conseil le 3 juin 1996, qui énonce les prescriptions minimales sur le congé parental, en tant que moyen important de concilier la vie professionnelle et familiale et de promouvoir l’égalité des chances et de traitement entre les hommes et les femmes.
La clause 2 de cet accord-cadre, relative au congé parental, prévoit en son point 6 que :
« Les droits acquis ou en cours d’acquisition par le travailleur à la date du début du congé parental sont maintenus dans leur état jusqu’à la fin du congé parental. A l’issue du congé parental, ces droits y compris les changements provenant de la législation, de conventions collectives ou de la pratique notariale, s’appliquent ».
Statuant sur les questions préjudicielles que lui avait posées la Chambre sociale, par son arrêt du 11 juillet 2018(n° 16-27825, voir 4ème newsletter du cabinet), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit (CJUE Aff C-486/18, 8 mai 2019, voir 7ème newsletter du cabinet) que :
1) La clause 2, point 6, de l’accord-cadre sur le congé parental, conclu le 14 décembre 1995, qui figure à l’annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES, telle que modifiée par la directive 97/75/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que, lorsqu’un travailleur engagé à durée indéterminée et à temps plein est licencié au moment où il bénéfice d’un congé parental à temps partiel, l’indemnité de licenciement et l’allocation de congé de reclassement à verser à ce travailleur soient déterminées au moins en partie sur la base de la rémunération réduite qu’il perçoit quand le licenciement intervient.
2) L’article 157 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation telle que celle au principal qui prévoit que, lorsqu’un travailleur engagé à durée indéterminée et à temps plein est licencié au moment où il bénéficie d’un congé parental à temps partiel, ce travailleur reçoit une indemnité de licenciement et une allocation de congé de reclassement déterminées au moins en partie sur la base de la rémunération réduite qu’il perçoit quand le licenciement intervient, dans la situation où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes choisissent de bénéficier d’un congé parental à temps partiel et lorsque la différence de traitement qui en résulte ne peut pas s’expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.
Statuant une nouvelle fois dans cette affaire, après la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, la Chambre sociale a jugé que les articles L 3123-13 et R 1233-32 du code du travail prévoient une indemnité de licenciement et une allocation de congé de reclassement déterminées au moins en partie sur la base de la rémunération réduite perçue par le salarié qui, engagé par un contrat à durée indéterminée à temps complet, bénéfice d’un congé parental à temps partiel lorsque le licenciement intervient. Ces dispositions établissent ainsi une différence de traitement avec les salariés se trouvant en activité temps complet au moment où ils sont licenciés. Dans la mesure où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes choisissent de bénéficier d’un congé parental à temps partiel, ces articles instaurent indirectement une différence de traitement entre les salariés féminins et masculins pour le calcul de ces droits à prestation résultant du licenciement qui n’est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.
Elle en a déduit que l’application de ces articles, contraires à l’article 157 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qu’ils instaurent une discrimination indirecte fondée sur le sexe, devait être écartée, dans cette mesure.
Puis elle a rappelé qu’en application d’une jurisprudence constante de la CJUE (arrêt du 8 avril 1976, Defrenne, C-43/75, points 10 à 15 ; arrêt du 28 septembre 1994, Avdel Système, C-408/92, points 15 à 17 ; arrêt du 7 octobre 2019, Safeway, C-171/18, point 40) dès lors qu’une norme interne refusant l’octroi d’une prestation ou d’un avantage à un groupe de personnes est contraire au principe de l’égalité de traitement, le juge national doit immédiatement, de sa propre autorité, accorder cette prestation ou cet avantage au groupe ainsi défavorisé, sans attendre l’élimination de la contrariété par la voie législative.
Elle a en l’occurrence reproché à la cour d’appel d’avoir rejeté les demandes de la salariée en paiement de compléments d’indemnité de licenciement et d’allocation de congé reclassement calculés entièrement sur la base d’un travail à temps complet, alors qu’elle aurait dû calculer le montant de l’indemnité de licenciement et de l’allocation de congé de reclassement sur cette base.
Usage entreprise – révocation – formalités respectées – contestation sérieuse – absence d’obligation non sérieusement contestable
Soc, 12 février 2020, n°s18-25644, 1825646, 18-25650, 18-25652, 18-25654, 18-25656, 18-25657
L’intérêt apporté par cet arrêt est double.
Statuant en matière de référé provision, la formation saisie ne peut accorder une provision que dans le cas où l’existence n’est pas sérieusement contestable, conformément à l’article R 1455-7 du code du travail.
La Chambre sociale le rappelle tout en montrant qu’elle opère un contrôle de la motivation par laquelle le juge des référés retient ou au contraire rejette l’existence d’une contestation sérieuse.
Précisément en l’espèce, l’employeur qui avait repris une activité faisait expressément valoir devant le juge des référés que l’usage tendant au bénéfice d’une prime de 13ème mois (objet de la demande de provision formée par plusieurs salariés de l’entreprise) avait été régulièrement révoqué dès lors qu’il avait respecté les formalités propres aux usages au sein de l’entreprise acquise. Il en déduisait l’existence d’une contestation sérieuse privant le juge des référés du pouvoir d’accorder une provision.
Le juge des référés qui s’est borné, pour condamner le repreneur au paiement du 13ème mois, à constater que ce dernier ne pouvait ignorer l’usage tendant au bénéfice d’une prime de 13ème mois sans effectuer la recherche opérante précitée, a privé sa décision de base légale au regard de l’article R 1455-7 précité.
Droit public
Droit de l’urbanisme – Certificat d’urbanisme – Conditions de prorogation
CE, 5 février 2020, Commune de Firmi, req. n° 426.573, mentionné aux tables du recueil Lebon
En vertu de l’article R. 410-17 du code de l’urbanisme, l’autorité administrative, saisie dans le délai réglementaire d’une demande de prorogation d’un certificat d’urbanisme par une personne ayant qualité pour la présenter, ne peut refuser de prolonger d’une année la durée de cette garantie que si les prescriptions d’urbanisme, les servitudes administratives de tous ordres ou le régime des taxes et participations d’urbanisme qui étaient applicables au terrain à la date du certificat ont changé depuis cette date.
Le Conseil d’Etat considère à cet égard que constitue en principe un tel changement l’adoption, la révision ou la modification du plan local d’urbanisme couvrant le territoire dans lequel se situe le terrain, à moins, pour la révision ou la modification de ce plan, qu’elle ne porte que sur une partie du territoire couvert par ce document dans laquelle ne se situe pas le terrain.
Est ainsi censuré l’arrêt de la cour administrative d’appel qui avait annulé le refus de prorogation du certificat en retenant qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que les règles d’urbanisme applicables au terrain avaient changé alors qu’elle avait relevé que la commune avait approuvé un plan local d’urbanisme postérieurement à la délivrance du certificat d’urbanisme initial.
Contrats – Concession de mobiliers urbains – Obligation de déterminer la nature et l’étendue des besoins à satisfaire
CE, 26 février 2020, Commune de Saint-Julien-en-Genevoix, req. n° 436.428, mentionné aux tables du recueil Lebon
La société JCDecaux avait saisi le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble d’un référé précontractuel tendant à l’annulation de la procédure de passation d’une concession de services portant sur la mise à disposition, l’installation, la maintenance, l’entretien et l’exploitation commerciale d’abris voyageurs et de mobiliers urbains, publicitaires ou non.
Le règlement de consultation prévoyait un critère portant sur le coût d’achat de diverses prestations supplémentaires ainsi qu’un tableau de prix de mise à disposition, s’appliquant au déploiement de mobiliers supplémentaires correspondant à des mobiliers existants précisément décrits dans le cahier des charges, que les candidats devaient remplir en indiquant un prix unitaire sans indiquer de limite quantitative.
Le juge des référés avait considéré que cette absence de limite quantitative méconnaissait le principe de la définition préalable par l’autorité concédante de l’étendue de ses besoins.
Le Conseil d’Etat a censuré cette position en indiquant que :
– il est loisible à l’autorité concédante, lorsqu’elle estime qu’elle pourra être placée dans la nécessité de commander des prestations supplémentaires au cours de l’exécution du contrat, sans être en mesure d’en déterminer le volume exact, de prévoir, au stade de la mise en concurrence initiale, un critère d’appréciation des offres fondé sur la comparaison des prix unitaires proposés par les candidats pour ces prestations ;
– l’absence de limite quantitative à ces prestations ne méconnaît pas le principe de la définition préalable par l’autorité concédante de l’étendue de ses besoins et ne laisse pas à la commune une marge de choix discrétionnaire, dès lors que ce tableau permet de comparer les prix unitaires des différentes offres, et, au surplus, que les candidats admis à concourir sont à même de demander des précisions sur ce point à l’autorité concédante s’ils l’estiment souhaitable.
Droit pénal et procédure pénale
Chambre de l’instruction – dépôt mémoire – avocats exerçant dans un ressort différent de celui de la ville où siège la cour – article 198 du code de procédure pénale
Crim, 6 mai 2020, n°s20-81110 et 20-81111, à paraître au Bulletin des arrêts de la chambre criminelle, au Bulletin d’information des arrêts de la Cour de cassation et sur le site de la Cour de cassation
Par ces arrêts de principes destinés à la publication, la Chambre criminelle a jugé qu’il résulte de l’article 198 du code de procédure pénale qu’un avocat qui n’exerce pas dans la ville où siège la chambre de l’instruction peut adresser son mémoire par télécopie ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, lesquelles doivent parvenir à leurs destinataires avant le jour de l’audience, peu important que cet avocat appartienne à une société inter-barreaux dont l’un des membres est inscrit au barreau du siège de cette juridiction.
Elle a ainsi consacré un principe, par une solution jusqu’alors inédite.
Or en l’occurrence, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, pour déclarer irrecevable le mémoire transmis, dans les délais légaux, par télécopie, par l’avocat de la personne détenue, inscrit au barreau de Marseille, avait relevé que dès lors que son cabinet disposait de trois bureaux au sein d’une société inter-barreaux, dont l’un dans le siège de la cour d’Aix-en-Provence, cet avocat exerçait dans ce siège et aurait donc dû déposer son mémoire au greffe.
En statuant ainsi, décide la Chambre criminelle, la chambre de l’instruction a violé l’article 198 du code de procédure pénale ainsi que le principe susvisé.